13 février 2025

L’IA, ce nouveau chercheur invisible qui bouleverse le monde universitaire

Image générée par Midjourney.

Longtemps cantonnée aux laboratoires de pointe, l’intelligence artificielle bouleverse désormais la recherche universitaire et la rédaction des travaux académiques. De l’analyse massive de données à la rédaction assistée, ces outils redéfinissent les méthodes scientifiques. Promesse d’efficacité ou menace pour la pensée critique ? Les chercheurs eux-mêmes n’ont pas encore tranché.

L’Assemblée nationale devenue le théâtre des querelles entre députés, bien loin du lieu de débats constructifs ? Trois chercheurs, Yann Algan, Thomas Renault et Hugo Subtil, ont publié au Cepremap (Centre pour la recherche économique et ses applications) ce lundi 13 janvier un papier intitulé “La Fièvre parlementaire : ce monde où l’on catche !”. Petite particularité : leur travail repose en grande partie sur l’utilisation de l’intelligence artificielle, une pratique de plus en plus répandue dans le milieu de la recherche scientifique et universitaire.

Pour Hugo Subtil, chercheur à l’Université de Zurich, ainsi que ses deux partenaires de recherche, l’IA s’est imposée naturellement : “Yann [Algan] et Thomas [Renault] avaient déjà écrit une note sur les tweets des Français où ils utilisaient l’IA, donc ChatGPT pour faire simple, pour classifier des textes. De mon côté, j’ai travaillé sur le Parlement européen où j’avais aussi pu expérimenter l’IA”, raconte-t-il. Pour ce nouveau travail sur l’Assemblée nationale, ils décident de récolter les plus de 2 millions de discours prononcés à l’Assemblée entre 2007 et juin 2024, répertoriés par l’association Regards Citoyens. Reste à confier ce jeu de données à ChatGPT : “Par exemple, pour savoir si le discours d’un député reposait sur des propos rationnels ou émotionnels, nous avons demandé à l’outil de les classer entre “émotionnel”, “rationnel” et “neutre”, pour voir ce que ça donnait, et puis par tâtonnements, on a trouvé que la binarité entre “émotionnel” et “rationnel” était plus en phase avec ce qu’on voulait faire”, détaille le doctorant.

Un outil de plus en plus prisé des chercheurs

Un potentiel redoutable que les trois chercheurs n’ont pas été les premiers à repérer. D’autres chercheurs, à l’instar de l’économiste et professeur à la London School of Economics Xavier Jaravel, ont eu recours à l’IA pour mener des entretiens dans le cadre d’études dites “qualitatives”, c’est-à-dire d’études qui permettent de rendre compte de l’opinion d’un faible nombre de répondants. Après application sur plusieurs études allant des opinions politiques à la perception du monde extérieur des personnes interrogées, les résultats montrent que les entretiens menés par l’IA seraient “aussi efficaces qu’un expert humain moyen dans un cadre de chat textuel en permettant de générer un volume de texte 142 % supérieur aux réponses ouvertes classiques”.

À plus grande échelle, l’IA dans les travaux de recherche présente plusieurs avantages selon ses adeptes. Ainsi, les IA analysent un nombre important de données textuelles, visuelles ou sonores en un temps limité, identifiant des modèles et des corrélations qu’un humain seul ne ferait pas aussi facilement. Dans le domaine scientifique, son efficacité est déjà reconnue pour la simulation et la modélisation de scénarios. Le projet HYPERION, porté par l’Union européenne, vise ainsi à préserver le patrimoine culturel européen des risques climatiques grâce à une modélisation atmosphérique permettant de tester les effets de conditions météorologiques extrêmes.

Une utilisation controversée

Si l’IA se fait de plus en plus une place dans le milieu de la recherche, son utilisation divise la communauté académique. Doctorant en informatique à l’Université Paris-Dauphine, Théo Delemazure a réagi, via X, à l’étude du Cepremap en soulignant les limites de l’utilisation de l’intelligence artificielle : “Je ne suis pas un grand fan, car on ne sait jamais vraiment sur quoi se base ChatGPT pour répondre. Dans ce cas précis, comment peut-on réellement juger les émotions à partir d’un texte ? En sachant que le ton employé n’est pas pris en compte non plus”, explique-t-il. La fiabilité et la qualité des résultats générés par l’IA peuvent alors être remises en cause, exigeant notamment la vérification et l’action humaine pour s’assurer manuellement de la véracité des faits avancés. “Après avoir demandé à ChatGPT si tel ou tel discours était rationnel ou émotionnel, nous avons demandé à quelqu’un de faire une classification manuelle sur un échantillon de discours plus réduit pour voir si les réponses sont corrélées entre humain et IA”, précise Hugo Subtil sur l’usage de l’outil dans son papier sur la “bordélisation” de l’Assemblée nationale.

De nouvelles contraintes s’appliquent au milieu de la recherche et bouleversent son mode de fonctionnement. “En Chine, les chercheurs ont une pression à publier de plus en plus de papiers, donc il suffit pour eux de trouver un dataset, un LLM et de faire un truc avec”, raconte Théo Delemazure. “Nous avions une contrainte pour sortir notre note de sorte à ce qu’elle arrive à un certain moment donné, pour qu’elle soit visible d’une part, mais aussi pour que ça intéresse les Français dans un espace médiatique qui est contraint”, argumente Hugo Subtil. Dès lors, l’IA permettrait aux chercheurs de répondre à des contraintes de temps, parfois au détriment de la qualité des résultats.

D’autres questions se posent devant la généralisation de l’intelligence artificielle dans les travaux universitaires. Transparence, robustesse des modèles d’IA utilisés, propriété intellectuelle et limites de la pensée critique sont autant de défis auxquels le monde académique devra faire face dans les années à venir.

Marine Evain et Constantin Jallot

Boîte noire :
Pour écrire cet article, nous avons d’abord utilisé TurboScribe pour retranscrire nos deux interviews. Lors de la rédaction, nous avons ensuite utilisé Chat GPT et Perplexity pour avoir des idées sur la structure de notre article ainsi que sur les arguments à ne pas louper pour saisir l’ensemble des enjeux du sujet.

Nous avons également demandé à Chat GPT de résumer en français un papier de recherche de 73 pages en anglais pour en saisir l’essentiel. Enfin, nous avons demandé à Chat GPT des idées de titres, chapôs et d’intertitres qui ont été une bonne base pour obtenir un résultat qui nous satisfaisait après modification. Nous avons passé mon texte dans Chat GPT pour repérer les fautes d’orthographe et les potentielles coquilles. 

Pour l’illustration, nous avons demandé à Chat GPT d’écrire un prompt à partir de nos idées. Nous avons ensuite demandé à Midjourney de générer une image à partir de ce prompt.

By mevain

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