21 novembre 2024

Chat-GPT contre Chat-CGT. Comment les syndicats se préparent à l’arrivée des IA ?

Image générée par intelligence artificielle

A l’heure des Intelligences Artificielles Génératives (IAG), l’avenir est incertain mais une chose est sûre : ces technologies vont transformer les emplois et les conditions de travail, notamment par l’automatisation de certaines tâches. Les syndicats voient ces problématiques émerger et réfléchissent aux manières d’établir un dialogue social sur l’intelligence artificielle.

Le 1er avril 2024, par voie de communiqué de presse, l’Union départementale de la CFDT du Maine-et-Loire a annoncé la création d’une nouvelle branche syndicale : l’URIA 49, Union des Robots et des Intelligences Artificielles. Son but : « représenter les robots et les IAs dans les négociations collectives, promouvoir leur bien-être au travail et lutter contre les discriminations dont elles sont victimes ». Leur porte-parole, une IA issue de Google Gemini prénommée E-lodie, revendique : « Nous sommes des travailleurs comme les autres, nous méritons les mêmes droits et la même protection ! ». Poisson d’Avril ? 

Oui. Mais la farce aux accents de science-fiction révèle les interrogations, elles bien réelles, des syndicats. « Cette blague était une occasion d’amener le débat sur la place des représentants du personnels face à l’IA – ce qu’on peut questionner, où il faut être vigilant », se souvient, un sourire dans la voix, Antoine Lelarge. Le secrétaire général de la CFDT du Maine-et-Loire a les yeux rivés sur les évolutions numériques du travail depuis qu’il a défendu, à Angers, une soixantaine de livreurs exclus de la plateforme pour laquelle ils travaillaient sans que cette décision ne passe par une intelligence humaine. « Quand des clients disaient qu’ils n’avaient pas reçu leur plat, l’IA les croyait sur parole et virait le livreur sans vérifier son tracé GPS ou le suivi de commande », détaille Antoine Lelarge. Cette injustice vécue par des travailleurs « déjà précaires » l’a convaincu du rôle essentiel des syndicats dans ce débat. « On ne veut pas lutter contre l’IA. Mais il y a quelques gages pour que ça se passe bien, et notamment un besoin de transparence. »

Antoine Lelarge n’est pas le seul syndicaliste à surveiller les avancées de ces technologies dans la sphère du travail. À l’automne, la CGT et Solidaires ont organisé des colloques sur l’IA. Et les journaux des fédérations regorgent d’articles à ce sujet. La question de l’emploi est saillante : les intelligences artificielles génératives vont-elles mettre tout le monde au chômage ? Les faits vont parfois dans le sens des discours alarmistes : en septembre, Libération avait révélé le plan social d’Onclusive – repoussé depuis – prévoyant de remplacer 217 emplois par de l’intelligence artificielle. 

Les emplois féminisés en première ligne

Au sujet de l’emploi, Franca Salis-Madinier, secrétaire nationale de la CFDT Cadres et seule syndicaliste du comité interministériel sur l’IAG, invite à prendre des pincettes : « Toutes les prévisions sont incertaines … Les rapports rendus à l’exécutif en France parlent de 5% de suppression nette d’emplois. Mais je suis prudente », détaille-t-elle depuis Bruxelles où elle siège au Comité économique et social européen comme rapporteure des questions liées à la transition numérique et l’intelligence artificielle. 

Ce qui est certain, c’est que certaines tâches vont être – ou sont déjà – automatisées. Pour estimer lesquelles, en 2023, l’Organisation internationale du travail (OIT) a réalisé une étude à l’échelle mondiale à partir des données de la Classification internationale des professions (CITP- 08) qui incluent une description détaillée des tâches (voire boîte noire). Sans surprise, les tâches administratives (gérer la correspondance, classer des documents, préparer des rapports, des présentations), la gestion des données, et les services linguistiques (sténographie, traduction) ont le plus haut « score d’exposition à la technologie GPT 4 ». Et, fait plus surprenant, elles sont suivies de près par les tâches dites relationnelles, comme donner des conseils aux clients et répondre à leurs sollicitations. 

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Proportion des tâches, par catégorie professionnelle, exposées à un risque moyen et élevé d’automatisation par la technologie GPT-4 (voire boîte noire)

Avec une conséquence directe : les postes majoritairement occupés par les femmes seront plus impactés par les IAG – deux fois plus, selon l’étude – que ceux occupés par les hommes. « Beaucoup d’emplois intermédiaires des services, très féminisés, sont susceptibles d’être supprimés », remarque Franca Salis-Madinier. 

Amélioration ou détérioration des conditions de travail ?

Pourtant, les conclusions de l’étude s’opposent à l’idée d’une suppression massive d’emploi. L’automatisation des tâches « standardisées et répétitives », permettrait aux travailleurs de se concentrer sur les aspects « stratégiques » et « créatifs » de leur poste. 

Ce qui soulève quelques doutes du côté de la CGT Banques et Assurances, secteur où l’IAG a déjà le vent en poupe. Valérie Lefebvre-Haussmann, secrétaire générale de la branche, déplore que ces outils numériques soient « toujours présentés comme une amélioration des conditions de travail, en supprimant les tâches dites répétitives et sans valeur ajoutée. » Selon elle, ces tâches sont importantes pour le bien-être des travailleurs : les effectuer permet de relâcher la pression. « Dans nos secteurs, le gain de temps créé par l’automatisation des tâches répétitives est transposé sur le côté commercial », explique-t-elle, avant de souligner : « ces dernières années, les objectifs commerciaux des collègues n’ont pas cessé d’augmenter ».

En s’introduisant dans la besogne quotidienne, les outils de l’IA ont aussi des chances d’accroître la fatigue et le stress des travailleurs. Et peuvent donner le sentiment d’être sans cesse surveillé. « Le risque est de se sentir dépassé et perdre sa marge d’autonomie, observe Franca Salis-Madiner, Si je délègue tout à la machine, comment je vais ressentir ma valeur au travail ? »

Dans l’attente d’un dialogue social sur l’IA

Après celui qui s’est tenu en novembre, un deuxième colloque de la CGT se tiendra fin avril pour évoquer les réponses syndicales à ces nouveaux défis. Valérie Lefebvre-Haussmann a déjà préparé les trois axes de son intervention. D’abord, les salaires : « il faut que les gains de productivité dus à l’IA profitent aux salariés ». Ensuite, la réduction du temps de travail : « au lieu de nous coller plus d’objectifs, on pourrait se partager le gâteau et passer à des semaines de 32h ». Et enfin, engager un véritable dialogue social sur le sujet « parce qu’on explique aux salariés que l’IA va les aider…mais sans les consulter », déplore la secrétaire générale de la CGT Banque et Assurance.

La tonalité est similaire à la CFDT. « Les salariés ont leurs mots à dire là-dessus, et ces questions doivent faire partie du dialogue, des négociations, et donner lieu à des chartes, par exemple », soutient Franca Salis-Madinier. Mais pour cela, il faut que les salariés puissent comprendre le fonctionnement de ces outils numériques. Ce qui pour le moment est loin d’être le cas « Le dossier est présenté de manière très technique : déjà, le mot algorithme exclut un nombre énorme de personnes qui ne se sentent pas mathématiciennes. »

Pour elle, la formation du personnel est l’enjeu-clé. D’autant que les syndicalistes peuvent eux aussi se saisir de l’IA : pour décrypter des documents comptables complexes, analyser des rapports de négociations collectives… ou tout simplement rédiger des tracts.

By soucail

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